
Bonjour Wolgan,
Quel plaisir de recevoir une lettre de votre part, quel plaisir de savoir que vous ne mâavez pas mis Ă part de votre quart de gloire. Moi aussi, souvent, je me permets de penser Ă vous, Ă ce que vous devenez, ce que vous ĂȘtes et serez Ă jamais dans mes petites idĂ©es de garçonnet mal aimĂ©. Le manque je dois vous le concĂ©der est de plus en plus ancrĂ© dans ce monde gĂąchĂ© que je ne cesse de tenter dâavorter nuit aprĂšs nuit Ă©toilĂ©e.
Aujourdâhui, jâai presque 12 ans vous savez, souvent lâon pense que je suis plus ĂągĂ©, Ă cause du langage plus quâempli de courtoisie dĂ©placĂ©e que jâutilise pour cacher un manque Ă©vident de reconnaissance de la part de ceux qui nâont su mâaimer tel qu’ils le devaient. Mais jâai bien douze ans, oui, je ne suis quâun enfant, quâun foutu enfant qui souhaite vivre une vie dâenfant. La derniĂšre fois que nous nous sommes quittĂ©s, jâĂ©tais dans une famille dâaccueil, mais figurez-vous que jâai dĂ» partir, car pour mon plus grand malheur ils Ă©taient tous aussi pervers que mon pĂšre. Ces deux personnages Ă©taient bien pire que je ne le pensais, Ă vrai dire pour ne pas vous mentir je me demande mĂȘme si les adultes sont ou peuvent ĂȘtre gentils. Je perds de plus en plus espoir les soirs dans mon lit seul aprĂšs avoir dĂźnĂ© au rĂ©fectoire des enfants maudits.
Vous nâimaginez pas Ă quel point votre lettre me fait plaisir, jâaimerais tant voir Ă quoi vous ressemblez aujourdâhui, ĂȘtes-vous plus heureux quâhier ? Y a-t-il de lâespoir aprĂšs lâair irrespirable que vous avez tant respirĂ© malgrĂ© vos priĂšres, que vous Ă©criviez Ă lâencre noire ? Ătes-vous heureux ? Jâai tant de questions pour vous, tant dâinterrogations, tant de demandes. Mais je ne vais pas vous faire un interrogatoire, vous et moi sommes pareils, plus il y a dâĂ©nigmes et plus la matiĂšre devient liquide dans nos pensĂ©es.
Dans votre lettre, vous parlez du fait que nous Ă©tions des jouvenceaux, mais vous savez, plus je regarde le monde et moins je souhaite grandir. Rien ici ne me plaĂźt ! Ătre un adulte est horrible, je les vois tous avec leur grand corps dĂ©formĂ©, leurs mains gigantesques et leurs voix Ă©normes et gargantuesques. Moi, je ne veux pas devenir comme ça, je suis un garçon gentil. Dâailleurs, personne ne le comprend, quand je dis que je suis un garçon gentil. Mais cela veut dire que je suis tout le contraire de leurs vies insignifiantes emplies de haine et de soucis inhumains dans leur humanitĂ© loin dâĂȘtre humaine.
Je vous assure, jâai peur, infiniment peur, extrĂȘmement peur, incomparablement peur. Oui peur de devenir ce quâils sont.
Mais vous et moi savons que je me battrai autant que je le pourrai, je le ferai fabuleusement et plantureusement pour rester ce petit garçon gentil. MĂȘme sâils continuent de me taper, mĂȘme sâils me privent de manger, mĂȘme s’ils veulent que je continue Ă jouer Ă leurs jeux dâadultes dĂ©placĂ©s. Je mâen fiche, je ne grandirai jamais, je resterai Ă jamais ce garçonnet mal aimĂ©. Car un jour je lâespĂšre quand ils me regarderont – puisquâils me regarderont – ils auront honte de leurs actes, honte de leur violence, honte de la brutalitĂ©, de la fĂ©rocitĂ©, de la colĂšre et de la torture de leurs sĂ©vices exĂ©cutĂ©s sur moi alors que je suis sans dĂ©fense et une nouvelle fois comme il me plaĂźt Ă le dire, alors que je ne suis quâun garçon gentil mais dĂ©sespĂ©rĂ©.
Vous nâimaginez pas Ă quel point votre lettre me fait plaisir, mais aujourdâhui jâai presque 12 ans vous savez, et je me demande si espĂ©rer nâest pas un acte dâignorant aveuglĂ© par des images quâil ne peut quâinventer. Je ne me dĂ©courage pas, je ne mâabats pas non plus, mais je dois lâavouer, le chagrin et la dĂ©solation avancent pas Ă pas vers un brisement qui paraĂźt de plus en plus difficile Ă rĂ©parer sans que cela se voie.
Merci pour votre lettre, elle est une lumiĂšre dans le noir, une Ă©tincelle pour lâespoir et un feu pour brĂ»ler ceux qui prennent trop de place dans mon cĆur faiblard. JâespĂšre que mon courrier vous incitera Ă poursuivre notre correspondance, car soyez certain quâau plus profond de moi, câĂ©tait une envie qui surpassait bien dâautres dĂ©sirs que celui de vous parler. Merci de lâavoir fait.
Dans lâattente de votre rĂ©ponse, croyez bien que moi aussi, je nâai jamais cessĂ© de penser Ă vous mon ami regrettĂ©.
